A l’heure dite, 10 h, en ce 17 décembre, un mini car et une dizaine de voitures s’arrêtent sur la place vide de Vicién. Sous le soleil, les visiteurs commencent à sortir quelques drapeaux peu ordinaires en Espagne. Tranquillement, ils attendent le maire du petit village (160 habitants) avec lequel ils ont rendez-vous. La cloche de l’église sonne, et je m’éloigne pour faire une photo générale. Une jeune s’avance vers moi et me demande ce qui se passe. Etrange situation où un Français de passage se met expliquer à un villageois espagnol, la surprise qui envahit son horizon. En fait, le maire avait cru que la délégation française et espagnole attendue se composerait seulement d’une poignée de personnes or, en plus des dix Français, une vingtaine d’Espagnols dotés des fameux drapeaux sont sur place. Ils ne sont pas des invisibles. J’explique alors au jeune curieux que des Français viennent se recueillir sur la tombe d’une jeune de leur région, mort en septembre 1936, sur ce petit sommet espagnol, face à Huesca, pour y défendre la République.
Alors tout s’éclaire pour lui, et en particulier les trois couleurs brandis par plusieurs personnes. Pendant que le maire nous fait entrer dans la salle des fêtes, le jeune est allé chercher un appareil photo et il est revenu écouter quelques discours rapides du maire, d’Yves Vidaillac pour la mairie de Caylus, de José Gonsalez pour MER 82 et du Cercle républicain de Huesca : Circulo republicanon huesca. Le maire explique qu’il est né après la guerre, qu’il ne peut donc pas en dire beaucoup sur le sujet, d’autant que les témoins sont à présent tous morts, mais que lui se considère républicain. Côté Français, puis côté Espagnol, les intervenants rappellent ce que nous savons, si bien qu’en conclusion, avant de se diriger vers le cimetière, le maire reprend la parole pour rappeler que Vicién fut en effet un lieu stratégique, que le village très agricole était une place essentielle pour le ravitaillement alimentaire de Huesca et qu’en plus il y a la voie ferrée.
En sortant, je vérifie que la nouvelle a circulé parmi la population car le jeune revient ve’rs moi, avec son père, qui m’indique « tenemos familiares en Tolosa ». Sur le coup je ne comprends pas surtout que le nom est Maestre et je ne vois pas ce que vient faire un maestro dans cette affaire. Puis tout s’éclaire : cette famille a un de ses membres réfugié à Toulouse et qui s’appelle Maestre, une famille de républicains très heureuse de cette rencontre villageoise.
Nous nous dirigeons alors vers le cimetière pour nous recueillir sur la tombe de Maurice Rajaud qui, en ce 17 septembre, est revenu à Vicién, par la présence de sa nièce dans la délégation. Nous rallumons publiquement des mémoires. Au cimetière, un carré de tombes sans nom laisse supposer qu’il y a là celle de Rajaud car nous savons que, par principe, les morts des ces lieux stratégiques étaient enterrés dans le cimetière. Nous faisons donc un dépôt de gerbes symbolique avec chansons républicaines, et à la fin, geste important, le maire annonce que ce coin du cimetière sera réhabilité pour signifier la présence de républicains morts en 1936-1937 dans le village.
La cérémonie ne s’est pas arrêtée là car, comme vous pouvez le vérifier sur Internet, le village, n’a pas attendu notre visite, pour alimenter les mémoires en balisant un parcours concernant cette guerre que le fascisme fit à l’Espagne, Sentier à la colline des transmissions, Nid de la mitraillette etc. Des refuges, avec un « frigo » traditionnel que les combattants aménagèrent. Là un villageois, étant un peu à l’écart est venu m’expliquer le fonctionnement du frigo : « quand il y avait de la neige, elle était tassée dans ce trou avec des intermèdes de paille, et elle tenait tout l’été pour y garder au frais surtout la viande. »
Avions-nous le temps de voir les autres éléments du parcours ? Le vent ne pouvait ralentir notre envie de toucher du doigt ces traces exceptionnelles d’un des moments décisifs de cette guerre énorme. Nous décidons donc d’aller jusqu’à un monument à la gloire de Dieu et de l’Espagne, monument à la gloire des fascistes qui furent tués par les républicains et mis en place par le franquisme victorieux (inutile de dire que les franquistes reprenant le village tuèrent des habitants sans stèle aujourd’hui).
Ce n’est par sur cette stèle que nous risquions de trouver le nom de Maurice Rajaud, stèle républicaine, que nous pensions présente dans le village. Mais mieux que les stèles nous avons croisé un paysan sur son tracteur qui en nous voyant avec nos drapeaux de la république, se fit un plaisir de lever le poing ! Il ne restait plus qu’à monter sur le nid de la mitrailleuse où inévitablement Maurice Rajaud avait posé le pied puisque nous savons que c’est pour se battre avec cette mitrailleuse qu’il était venu à Vicién.
Là, c’est une dame qui m’a abordé pour m’expliquer la configuration des lieux : avec la colline des transmissions, le lieu de la poudre, le train qui servait d’hôpital où peut-être des médecins tentèrent de sauver Maurice, et cette dame ajouta : un Italien a écrit un petit livre sur cette bataille malheureusement je ne sais plus le nom de l’auteur ni le titre. L’information en elle-même vaut déjà de l’or !
Finalement, c’est le jeune, croisé au départ, qui a souhaité nous conduire devant l’ultime trace de la guerre : l’hôpital qui est un bâtiment fermé où l’on devine encore le sigle C.N.T. Le jeune précise qu’il a des photos du temps où l’inscription était plus visible (en trouve sur internet sur le blog du village).
Une matinée réussie à tout point de vue car elle a démontré que la récupération de la mémoire était possible grâce aux générations suivantes et que cette action n’avait rien du pèlerinage nostalgique mais tout d’une reconquête de la dignité des vaincus.
Jean-Paul Damaggio
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